Passage berbère

Marrakech, 15h, 42 degrés. Nous voilà dans notre dernier pays du voyage, le Maroc... Mais quelle drôle d'idée de mettre cap au sud en plein été alors que la canicule embête déjà tous les vieux chez nous? C'est que pour un tour du monde , on se devait bien de passer par tous les continents, et pour trouver un pays d'Afrique avec des petites collines à grimper, et qui ne rime pas avec risque rouge pour le touriste lambda...ben... Il restait que le Maroc quoi. En même temps nous ça nous allait bien, pour une fois il n'y a pas 25 heures d'avion, et nous n'avions entendu que des louanges de ce pays et de ces habitants réputés accueillants. Ainsi donc, après même pas une semaine de pause à Grenoble, et pendant qu'Arthur est déjà au Kirghizstan, nous retournons à l'attaque de nouvelles montagnes dans le massif du haut Atlas, avec deux objectifs principaux dans le viseur : de l'escalade à Taghia, site fameux pour ses grandes voies difficiles dans un cadre exceptionnel...mais nous y reviendrons, c'est le thème de notre article du jour ! Le deuxième objectif étant une traversée du Haut Atlas, en pays berbère, en passant par les plus hauts sommets du pays . Grosso modo, nous prévoyons une semaine de grimpe et deux semaines à marcher.

De la grimpe donc, une petite parenthèse détente pour nos jambes entre tous ces treks et courses d'alpi...enfin c'est ce que l'on croit ! En effet à Taghia, on est en montagne, pas au spot de couenne à deux mètres de la route du coin... La grimpe se déroule sur les immenses parois de calcaire orange qui entourent le petit village, formant des gorges très raides où coulent de maigres torrents, les akkas.

Pour arriver là, c'est déjà une petite histoire, 5 heures de taxi depuis Marrakech jusqu'au village de Zaouia Ahansal, dont 2 sur une piste, puis le lendemain à nouveaux deux heures cette fois-ci à pied, jusqu'à Taghia, en compagnie d'un âne bien sympa de nous porter nos sacs énormes! Heureusement pour organiser tout ça, nous pouvions compter sur Saïd, un jeune du village dont on a pris le contact sur Facebook, c'est fou ce qu'on fait avec les nouvelles technologies! Sa méthode de publicité : demander en ami tous les grimpeurs du réseau social en espérant les amener au petit gîte de son oncle.

L'approche vers Taghia avec l'Oujdad en ligne de mire

Saïd est un garçon de 22 ans, d'une gentillesse formidable, très intéressant et prêt à répondre à toutes nos questions sur la culture locale. Il est titulaire d'une licence de littérature française, envisage de devenir guide au Maroc, pourquoi pas prof, de monter son propre gîte au village. Il peut également se targuer de grimper plus que bien! Au gîte de Saïd, on est servis comme des rois pour un prix modique. Nous découvrons les us locaux, la cérémonie du thé, le tajine tous les soirs...

Nous passons notre première journée un peu comme des limaces, écrasés par le soleil de l'Atlas... Le soir, quand les températures redeviennent supportables, nous prenons contact avec le rocher de Taghia en grimpant aux sources de la rivière dont dépend tout le village. On a compris, il faudra grimper à l'ombre.

Le lendemain, nous avons décidé de passer aux choses sérieuses, avec le pilier nord-ouest du Taoujdad, une magnifique aiguille bien visible du village. Nous avons choisi une voie aux cotations plutôt débonnaires (TD-, 6a), car nous n'avons quasiment pas fait d'escalade de rocher cette année, néanmoins la voie n'est pas équipée, et reste longue, 500m. C'est le début d'une grande mission...

La ligne évidente de loin mais loin d'être évidente du pilier nord-ouest du Taoujdad

Nous commençons à 8h par une grosse heure d'approche dans la gorge bordant la face nord du Taoujdad... Il faut faire un peu d'artif, grimper un petite longueur, traverser, et il fait déjà chaud... Les 2 litres d'eau que nous portons nous paraissent bien maigres au vu de la journée qui s'annonce. Nous attaquons par un socle de 250 m environ, qui doit nous mener aux longueurs difficiles... Malheureusement l'adage "c'est le facile qui est difficile" va encore une fois se vérifier...

En effet, le rocher se révèle plus que douteux quand il n'est pas tout simplement dissimulé par la végétation... Nous grimpons en corde tendue au début, mais décidons rapidement de tirer des longueurs : vu la qualité des protections possibles, une chute n'est pas trop permise... Nous arrivons sous les difficultés à 14h. Nous sommes déjà complétement desséchés, il nous reste 10 longueurs et peut-être autant de gouttes d'eau dans notre bouteille

Heureusement l'itinéraire semble plus évident, et nous arrivons à grimper un peu plus vite en tirant des longueurs de 60 mètres... Les longueurs sont d'ailleurs toutes plus moisies les unes que les autres, le rocher à peine meilleur que dans la première partie disparaît sous les branchages ! Nous nous trouvons présent dans un large couloir a priori sans difficultés, mais nous sommes vidés après 10 heures de grimpe dans cette chaleur... A 21 heures, nous sommes au dernier relais de la voie, nous brassons dans les buissons, il fait complétement nuit, et Anouk fera la longueur en tête à la frontale tandis que je suis à l'aveugle... Nous sommes enfin heureux d'être au sommet, mais l'on sait qu'il faudra négocier la descente dans un système de vires et de passages aménagés, le tout dans la nuit noire. Nous avons la gorge qui brûle, la bouche pâteuse et les lèvres gonflées, complétement déshydratés, nous arrivons à peine à parler. Mais nous prenons notre temps, et la fraicheur de la nuit nous redonne des forces.

Un peu fatigué...

Nous prenons donc contact avec les passages berbères en pleine nuit : pour descendre du Taoujdad, on emprunte en effet un système de vires puis une gorge raide, dans laquelle ont été aménagés ces fameux passages, des petits ponts ou escaliers faits d'un amas de bois et de pierres. La descente nous parait infinie, nous allons doucement pour ne pas perdre le cheminement des cairns. Lorsque nous arrivons près du village, nous tombons sur Saïd et deux amis partis à notre recherche en Crocs et babouches à la lumière de leur portable... Même si ceux-ci nous annoncent que nous sommes encore loin du village, nous arriver rapidement à la source tant rêvée au pied de l'Oujdad! Nous nous jetons comme des damnés sur cette eau fraîche synonyme de renaissance... En fait une grosse bêtise : nous ne l'apprendrons que plus tard, mais boire trop d'eau froide après un coup de chaud est la meilleure façon de tomber malade! Nous n'attendrons pas longtemps avant de le constater...

Malgré une bonne nuit, le lendemain nous nous sentons comme si nous nous étions pris un 38 tonnes en pleine face...On se contentera de fréquenter les toilettes régulièrement, ça y est la tourista a encore frappé!

Après cette grosse mission, nous avons envie de prendre un peu plus de plaisir dans la grimpe, nous choisissons d'aller voir la classique "Belle et berbère", toujours non loin des sources, facile d'accès et rapide à descendre, et équipée qui plus est! Au final une très belle voie, avec une petite dizaine de longueurs, remarquables de continuité car toutes ou presque dans le 6b/+ ! Une bonne séance de volume parfaite pour la reprise !

Belle et Berbère

Le lendemain, la forme n'est pas au rendez-vous, le ventre fait des siennes et ne semble pas s'être remis du Taoujdad... Nous parviendrons à nous extirper de notre apathie dans l'après-midi pour aller visiter un fameux passage berbère menant aux hauts plateaux, le tire -bouchon, nommé ainsi car fornant une spirale pour passer une gorge entre deux falaises.

Le passage berbère du tire-bouchon

Des paysages arides mais splendides

La soirée est nuageuse, nous prenons enfin le frais, quel bonheur de regarder le soleil se coucher sur ce petit village de l'Atlas ! En descendant le long de ces belles parois, nous retrouvons l'envie de nous frotter à un itinéraire d'ampleur. Nous trouvons la perle recherchée avec la voie "Danse avec les mules", 450m, 6c, une voie terrain d'aventure comportant de l'équipement dans le dur, permettant de sortir au sommet de l'Oujdad, la grande aiguille surplombant le village. Une face nord-ouest...parfait quoi!

Cette fois, nous voyons les choses en grand au niveau de l'eau et de la nourriture : 3L, pain, saucisson et un gros stock de cacahuètes! Tout pour ne pas se retrouver dans le même état qu'au Taoujdad! L'approche est aisée, dré dans le pentu au dessus du village. En guise de première longueur on retrouve une cheminée végétative qui nous rappelle des (mauvais) souvenirs... Anouk tire 80mètres et nous nous retrouvons sur la vire où commencent les difficultés. Heureusement le rocher est de qualité bien supérieure qu'au pilier nord-ouest du Taoujdad, et de sympathiques spits et pitons rassurent régulièrement. Après quelques belles longueurs en 6a/b dans des fissures très protégeables, nous pique-niquons sous les 3 longueurs en 6c, il est seulement 11h, les choses s'annoncent bien mieux que la dernière fois! En reprenant, on a l'agréable surprise de trouver des longueurs belles et remplies de spits... Dommage pour l'ambiance TA, mais on se fait plaisir. Cette section est pliée rapidement, mais au dessus nous retrouvons ce rocher à moitie pourri et recouvert de végétation... Censé être faciles, pas plus que 5, nous trouvons ces 2 longueurs plus délicates que les 6c du dessous. Après moults plaintes, nous arrivons à une autre vire, qui semble se parcourir aisément vers la droite. Nous tirons une dernière longueur pour nous retrouver sur des grands gradins : nous savons que nous en avons fini avec les difficultés, mais il nous reste 200 mètres de dénivelé jusqu'au sommet, et la descente à gérer. D'autant qu'Anouk est tentée par une descente coté ouest au lieu de la voie normale, que nous avons déjà empruntée pour revenir de l'Oujdad. Et Saïd nous a prévenu : celle-ci passe par des passages berbères pas évidents,hors de question d'y passer de nuit! Bref, la journée est encore longue!

Au sommet de l'Oujdad

Un peu de descente en versant Ouest, on remonte dans les gradins, les cuisses tirent un peu... Puis on parcoure l'arête ouest, un éperon aménagé d'une multitude de passages berbères. C'est facile mais aérien, il est surréaliste de penser que les chèvres passent par là! Nous arrivons au sommet à 19h, il est encore pas vraiment tôt, ça fait presque 12 heures que nous sommes partis du gîte. On attaque la première partie de la descente en se disant que l'on décidera de passer par la voie normale si nous sommes trop tard à la bifurcation. Un grand rappel pendulaire sous les yeux ébahis d'un berger nous dépose à celle-ci. On discute avec le berger, et on voit que la gorge à l'Est est encombré de chèvres, impensable de passer par là, les pierres roulent sous leurs pattes comme autant de missiles prêts à nous fracasser le crâne. Au moins nous sommes décidés, on passera à l'Ouest, mais il va falloir tracer sévère! Heureusement, nous trouvons avant la tombée de la nuit l'entrée du passage décrit par Saïd... Plusieurs centaines de mètres d'une vire totalement artificielle, faite de bâtons plantés dans le rocher on ne sait comment, et recouvert de pierres... Un câble de 5 mm de diamètre en guise de ligne de vie donne une vague impression de sécurité, ils sont fous ces berbères! Au sortir du passage, on retrouve un vague sentier cairné mais à présent on n'y voit plus rien du tout! Et la vieille rengaine de la descente à la frontale qui recommence!

On arrive à un espèce de col au pied de la face ouest de l'Oujdad, on voit les lumières du village, puis rapidement une espèce de signal clignotant...mauvais signe, d'autant qu'en dessous de nous, nous soupçonnons la présence d'une bonne vieille barre rocheuse. On traverse donc pour se retrouver rapidement perdus, plus de cairns, pas de sentier...Aie aie aie, si près du village (à vol d'oiseau en tout cas...) . Heureusement à force d'errer en essayant de retrouver le vague sentier d'où nous venons, nous retrouvons un cairn ! VICTOIRE! Nous suivons à présent une vague sente pas si facile de nuit, et nous ne pouvons que constater qu'il n'y avait qu'un chemin possible, autour, des barres, des barres et encore des barres! Un peu saoulés, nous n'arrivons cependant qu'à 22 heures au gîte, pile à l'heure du repas !Encore une bonne bambée, mais où au final le plaisir l'emporte sur la galère! Ca fait du bien!

Un bon tajine vite avalé car le lendemain nous avons promis à Saïd de l'emmener dans Aïcha, une grande voie de 6 longueurs voisine de Belle et Berbère... Un dodo de plus qui a le goût de trop court, mais c'est avec joie que l'on se lance dans cette "voie plaisir", la plus facile de Taghia apparemment, en compagnie de notre hôte. Les longueurs, toutes magnifiques, demandent quand même de grimper puisque plusieurs sont dans le 6b, mais Saïd s'en sort à merveille, en toute confiance dans ses chaussons!Arrivés au sommet, nous décidons de descendre la voie en rappels, car Saïd n'a jamais enchainé plusieurs rappels, c'est donc l'occasion qui fait le larron!

Saïd au taquet!

Et voilà, c'est notre dernière voie à Taghia pour cette fois, mais c'est sur on reviendra! Il est déjà temps de préparer les sacs pour partir le lendemain pour la traversée du Haut Atlas.Faisons un petit bilan...

Dans l'ensemble Taghia est un site difficile, les voies sont longues (minimum 350m), voire très longues et soit peu équipées soit rapidement très difficiles techniquement. Les approches et descentes demandent souvent un pied montagnard. Dans de nombreuses voies, de l'escalade artificielle, ou des techniques de big wall sont nécessaires. Ainsi Taghia est un petit paradis calcaire, mais s'adressant plutôt aux trés bons grimpeurs, on a un peu regretté notre manque de pratique de cette année. Chaque itinéraire est exigeant et je crois qu'il ne faut pas s'imaginer faire une grande voie tous les jours! Mais si vous avez le niveau foncez, le cadre est splendide, et dépaysant, les gens adorables, on mange bien, le Maroc est un pays pas cher, et la grimpe en vaut la peine!