Apogée péruvienne

Après l'ascension du Vallunaraju, La Voix des Cimes est quelque peu dans le creux de la vague. La météo se détériore avec de la pluie tous les jours, même à Huaraz ! On ne va quand même pas restés plantés sans rien faire… Autant parier sur le retour imminent du beau, peut être que les météorologues péruviens ne sont pas si bons qu'en France ? Direction le Huamashraju donc, en compagnie de Renato, pour du mixte technique dans la directe de la face ouest. Enfin il sera possible de jouer des deux piolets et de se mettre dans le vertical ! Même le nom du sommet est inspirant, puisqu’il s’appelle « La montagne de la peur » en quechua. Ça promet d’envoyer du gros ! Nos appétits d'aventures andine seront néanmoins écourtés avant même d'avoir commencé. Les météorologues locaux ne sont pas si mauvais, et la pluie nous rince en continu et ne laisse sa place au soleil qu’au matin. C'est assez pour constaté que la face est détrempée et le rocher semble verglacé au-delà 5000. Retour maison donc, pari perdu !

Avec Renato, aspirant guide chilien, on attend que la pluie passe...

7h du mat, grand beau, trop tard pourle sommet! on passe quand même le bonjour à la casa jaimes qui nous loge

S'ensuit deux jours de tournage de pouces. Pas bon pour le moral ça… Il nous faut (ré)agir, et vite ! Au hasard d'une promenade assez vaine à la Casa de Guias, nous tombons sur Matthew et Sam, les américains d'Hatun Matchay. Ils sont en train de siphonner les réserves de bières du bar et nous ne tardons pas à les rejoindre dans cette entreprise ô combien sérieuse. La rencontre s’avère fructueuse finalement, et nous décidons de partir pour la Laguna Antacocha dès le lendemain matin pour grimper au SOLEIL !!! Il sera au rendez-vous deux jours durant, ce qui nous permettra de sécher et d’envisager la suite à tête reposée (l’inactivité, ça pèse). Les grandes voies d'Antacocha sur du rocher volcanique (très) peu fréquenté sont l'occasion de découvrir un autre panorama sur la Cordillère Blanca avec l'imposant Huantsan en ligne de mire, ouvert en 1953 par un certain Desmaison… Après avoir grimpé sur de la mousse et empoigné des cactus à pleines mains pour nous hisser de pitons rouillés en pitons rouillés (quand il y en a), nous voici regonflés à bloc pour nous plonger dans le vent, la glace et le froid.

Soleil en non-stop, ça change!

Traversée sur coinceurs avant de rejoindre la longueur cactufiée

Là encore, le choix de l’ascension relève du pari : « S'il a fait beau les deux derniers jours, il a aussi fait beau en montagne, donc la neige a fondu ou s'est tassée du moins. Donc on part pour le Chopicalqui et son arête SW, dont le champignon sommital nous fait de l'œil depuis un an qu'on l'admire en photo !

Le Chopicalqui et son hongus comme on aurait aimé le voir...

Nous ne le savons pas encore, mais cette escapade sera pleine de records horaires. 3h de marche dans des moraines pourries au lieu de 6 pour rejoindre le camp morainique, et 3h30 de brassage du camp supérieur jusqu’à 400 mètres plus haut le jour du sommet ( une moyenne de 75m/h donc…). Mais ce n’est pas l’échec que nous retiendrons ! D’ailleurs, plus tard un guide nous le rappellera alors que nous nous apprêtons à gravir le Tocllaraju : « Remember, the destination is not the matter, the important is the way to it. Enjoy ! ». Sages paroles que nous mettons en pratique au Chopicalqui. Si nous avons brassés sans avancer dans de la neige sans consistance, creusés de véritables tranchées dans des murs à 40/50°, nous sortons épuisés mais heureux d’avoir joui d'une ambiance fabuleuse face aux Huascaran et aux Huandoy, seuls au monde dans notre bivouac glacé au milieu des crevasses monstrueuses. Enfin, comme souvent, nous sommes d'abord fatigués puis heureux. Parce qu'il faut dire qu’après la séance guerre des tranchées à 6000, nous avons bien du mal à nous mettre en mouvement pour redescendre. Le bivouac a beau être joli, il est perché à 5600 m, un parfait assommoir pour alpinistes. C'est quand on s'endort à même la neige encore encordés qu'il est conseillé de redescendre au plus vite.

Moraine, pourquoi tant de haine?

Traversée du glacier pour aller au camp 1, perturbé comme toujours

Nous n'irons pas plus loin!

A gauche, tentative de traçage dans poudreuse, derrière, le crux nous attend encore

Redescente, vue sur les Huascaran

Retour au Camp 1, 5600m. Altitude + brassage:1, alpinistes:0

Mot d'ordre du moment: "on va pas moisir ici!"

La descente est vite avalée mine de rien et nous retrouvons la route qui mène à la Quebrada Llanganuco en quelques heures à peine. Alors que nous cherchons à rejoindre les bus pleins de gringos qui redescendent dans la vallée, nous croisons une famille de péruviens qui nous proposent de nous conduire. Mais avant, il faut cuisiner ! Patates, oeufs et soupe à l'oignon au feu de bois : simple et efficace. Personne n'est très pressé, et nous en profitons pour nous remplir la panse grâce à la générosité d'Alfredo et sa famille qui insiste pour qu'on se réserve jusqu’à imploser. Sûrement un des meilleurs moments en compagnie de péruviens ! À 12 dans la remorque d'un vieux camions aux freins récalcitrants, nous cahotons 3h durant les cheveux au vent et la peau de plus en plus calcinée par le soleil andin. L'important pour eux est « qu'on n'oublie pas leur accueil ». C'est sûr, nous n'oublierons ni la curiosité d'Alfredo (« vous avez des patates en France ? Et des œufs ? Et des avocats ? Quoi, vous n'avez pas de poules à la maison ? »), ni les questions de vocabulaire français du jeune Luis, ni les pauses pour lancer des seaux d'eau sur les freins pour les refroidir, ni la générosité naturelle de cette belle famille péruvienne ! On espère les revoir un jour en passant par Yungay, histoire qu'eux non plus n'oublient pas les gringos frances !

On respire mieux en dessous!

Notre famille d'autostop! Cramponnez-vous, ça secoue un peu...

Retour à Casa Jaimes à Huaraz, « hôtel » cheap et plus ou moins glauque au début de notre ie à Huaraz qui est devenu en un mois notre vraie maison. Un peu plus et on ferait parti de la famille !

Nous y retrouvons gaiement Moritz et Anna, revenus du trek de la cordillère Huayhuash il y a peu. A peine le temps de laver les nippes puantes qui nous servent d’habits que nous voici avec un nouvel objectif en tête : le Tocllaraju et ses 6035 m ! Pourquoi languir à Huaraz alors qu'on peut partir sur le champ ? A 6h le lendemain, l’amigo taxi Raùl nous attend au saut du lit pour nous amener à Collin, au début de la Quebrada Ishinca. Encore une fois, nous sommes cinq en plus de Raùl dans la petite mais solide et loyale Toyota Corrola. En plus de nos amis austro-allemands, nous sommes accompagnés d'une suissesse répondant au nom de Zoé. Rencontrée la veille, elle nous a rejoint à la dernière minute, motivée par la perspective de gravir son premier sommet andin. Le plan d’attaque s’étale en fait sur cinq jours, d’où la sollicitation des services d’un arriero et de son burro (âne). Et puis nous sommes déjà montés dans cette vallée longue et plate, surtout avec 5 jours de nourriture.

Après être monté jusqu’au refuge Ishinca à 4350m, alias Base Camp, nous allons monter la tente 700m plus haut au camp glacier du Tocllaraju situé à 5100. Seul Moritz nous accompagne, les filles attendant notre retour au refuge et se préparant pour l’ascension prochaine de l'Ishinca (5500m). Au camp glacier, nous assistons au retour bredouille de nombreux alpinistes. Seuls quelques uns ont foulés le sommet du pied après avoir bataillé durement dans de la neige inconsistante. Bizarrement ça nous rappelle le Chopicalqui…

Ambiance camp de base pour le Tocllaraju. Le porteur a beau ne plus avoir de dents, il a la classe!

Le départ est donné à 2h du matin. Sur l’arête deux cordés d’américains sont déjà présentes. Ces new-yorkais ont une notion un peu étrange du voyage. En 7 jours, ils comptent gravir un 6000, sans acclimatation ou presque avant de retourner au boulot. Ils sont donc partis du camp à 22h30 pour arriver à 5h30 au sommet, à peine 30 min avant nous ! Leur guide est s’accorde à nous dire qu'il y a plus sûre comme méthode pour gravir un 6000 mais ces gringos là ont beaucoup d'argent, et le guide ravale donc ses éventuelles protestations quant au choix de la course… Au final, les dits gringos ressemblent plus que jamais à des zombies à leur retour du sommet. Quant à nous, nous avançons dans la nuit noire tels des étoiles filantes et nous avalons le dénivelé sans nous en rendre compte. À 6h, voici un piolet qui émerge de sous le champignon sommital, puis un autre, puis une tête casquée avec un visage essoufflé. Nous venons de franchir les derniers mètres de traversée au dessus du mur de la face ouest. La neige est bonne, sauf sur les derniers mètres exposés à 55/60° avec toute la face sous nos pieds. L'ambiance est magique, démente, ahurissante et le soleil qui se lève au même moment nous gonfle le cœur d'une joie simple et puissante. Nous sommes au sommet après 4h d'efforts, à un rythme soutenu par rapport à l'altitude (merci Moritz, véritable cheval de trait).

Sommet du Tocllaraju avec Moritz! Peut-être le plus beau sommet d trip

L’émotion du sommet passé, nous revenons peu à peu sur Terre et nous nous mettons en quête d'une deuxième corde de 60m pour pouvoir descendre en rappel du champignon sommital et passer au dessus de la gueule béante de la rimaye sans tomber dedans. Nous avions un guide équatorien qui finira par accepter de nous prêter une de ses cordes, non sans nous tancer de touristes écervelés. Il quittera bien vite son air grognon pour accepter volontiers la bière que nous lui offrons au refuge. Et puis, il en profite pour baver un peu sur ses clients yankees lents mais argentés. De retour au refuge, à peine le temps d'ajouter quelques dettes à notre ardoise que nous devons repartir 700m plus haut pour le bivouac de l'Ishinca (5500m). Longue journée qui se finit en épreuve mental. Heureusement, nous dormons dans de vrais lits là haut !

Grande cordée pour l'Ishinca avec Moritz, Anna et Zoé

Sur les pentes de l'Urus (5300m)

Les deux jours suivants, nous enchaînons deux sommets plus petits mais qui ne cessent de rajouter à la fatigue déjà présente. Après l'Ishinca, voici l'Urus (5350m) en touche final, avec ce qui est sûrement le plus beau lever de soleil de ces 5 mois d'aventures ! Merci Anna pour cette idée de dernière minute !

Retour à Huaraz. Plus que 6 jours avant le retour sur Lima ! Il nous faut un dernier objectif pour clôturer le chapitre péruvien. Ce sera le Sphinx alias La Esfinge : 18 longueurs de grimpe dans le 5+ entre 4700 et 5300. Avec ses 600m de face, le Sphinx rentre dans la catégorie des Big Wall. Néanmoins, nous ne dormirons pas en son sein, loin d’être chaleureux. Aussi haut, il fait soit trop chaud, soit trop froid comme nous le découvrirons plus tard.

Loué soit un tel endroit!

C'est toujours épaulés par notre fidèle Raúl que nous partons pour la Laguna Parón avec Moritz. Sûrement l’un des plus beaux paysages pour clôturer ce séjour péruvien. Des deux côtés de la vallée, les falaises semblent vouloir se rejoindre dans le ciel pour former des arches monumentales, et le lac est encerclé par les immenses pics des Huandoy, Piramide, Chacraraju et autres Artesonraju. En un clin d'œil, nous savons qu'il nous faudra revenir dans ce paradis vertical. Tout semble parfait, mais le topo va joue le rôle du grain de sable. Sa précision relève du mythe, et il semble avoir été fait pour tromper le grimpeur innocent. Après coup, nous saurons via internet que nous ne sommes pas les seuls à compter parmi ses victimes. Toujours est il que nous marchons 6h au lieu des 4 indiqués (que nous aurions fait de toutes façons en 2h30 normalement). Nous crapahutons dans des moraines infinies et nous finissons par une traversée « alpine », comprendre exposée et peu engageante. Pour couronner le tout, Moritz se trouve être le nouveau détenteur du titre El Cagador, et chacun de ses pas devient vite une souffrance. Nous arriverons finalement au camp de base à la nuit presque tombée, vers 18h, épuisés avant même d'avoir commencé.

Claire de nuit face aux Huandoy et Piramide

Cela ne nous empêchera tout de même pas de nous lever à 3h du matin pour être dans la première longueur avant le lever du jour. Et bien nous a pris, car nous ne sortirons au sommet que 10h et 20 longueurs plus tard ! Nous découvrons que la grimpe à 5000, même dans le 5/6, est épuisante. Heureusement, Moritz va mieux et va même leader la dernière moitié de la voie, volant littéralement de coinceurs en pitons ! Le granit du sphinx est parfait, comme promis, et les doigts des mains et des pieds s'en ressentent vivement. L'ambiance est extrême : glacial au réveil, brûlant jusqu’à l'insolation pendant les 6h de soleil, la soif et la faim nous taraudent en continu alors que la fatigue augmente à chaque longueur. Face aux murs imposants des 6000 environnants, les yeux se ferment momentanément aux relais. Encore une longueur, puis une autre. On grignote les 600 m de paroi. Jusqu’à poser la main sur la dernière prise pour s’élancer de l'autre côté de la falaise et retrouver le soleil du soir. Dernier sommet de La Voix des Cimes au Pérou, le Sphinx est vaincu !

L'ambiance est pas folle non plus... ;)

Retour à la tente après 14h d'efforts. Nous sommes vidés et heureux, comme souvent en montagne. Encore quelques jours pour dire adieu à Huaraz que nous reverrons sûrement dans les années à venir. Dans quelques jours, La Voix des Cimes se sépare à Lima, après le cocktail réglementaire salsa/surf/pisco. Corentin retrouve Anouk pour continuer l'aventure péruvienne avant de se diriger vers les monts marocains. Arthur retourne en France pour préparer son départ prochain vers le Kirghizistan avec une équipe internationale tchéquo-franco-allemande. D'ici là, il retrouvera sûrement Moritz pour un rapide crochet au Mont Blanc en mode Blitzkrieg, histoire de rester acclimaté.

La Voix des Cimes, ce n'est donc pas fini, restez avec nous !!