De glaciers en glaciers : la Wapta traverse

Le grand depart, et deja une gore-Tex d'oublie!

Nous sommes le 26 mars et nous voici au début de la Wapta Traverse, a Peyto Lake, en compagnie de Gilles Godbout qui nous a rejoint au dernier moment hier soir. Et devinez quoi? Il fait grand beau! Ca faisait longtemps que le soleil n’etait pas venu nous cuire l’epiderme. Soleil, compagnon de cordee canadien, immersion en haute montagne pour plusieurs jours consécutifs, poudreuse canadienne: ce raid en ski de rando commence donc sur de bons auspices.

Un mot sur Gilles d’abord. Nous l’avons rencontre a Haffner Creek, le site de grimpe en glace et mixte vers lequel convergent grimpeurs debutants et experts chaque weekend d’hiver. Nous y etions alles avec Gemma, notre hote kiwi, pour nous “reposer” de notre enchainement de cascades il y a deja deux bonnes semaines. Nous avions recroise Gilles au Playground, site de dry-tooling a cote de Canmore, et lui avions expose notre projet de Wapta Traverse. Tres enthousiaste, il ne nous avait pourtant pas donne de nouvelles jusqu’a la veille du depart a 18h. “Guys, I’m in!!” nous ecrit-il. Ca tombe pile-poil, car en plus de repondre a l’objectif de l’expe (partager des instants en montagne avec des locaux pour ceux qui auraient decroches), la venue de Gilles nous permet de faire la navette a deux voitures entre notre point de depart et d’arrivee a ski. Aux oubliettes l’auto-stop!

En plus, Gilles est un bon grimpeur et skieur qui s’y connait en cordes, noeuds et manip’. C’est meme son metier: il est cordiste. Nous apprendrons durant cette semaine avec lui qu’il connait bien d’autres choses que le maniement des cordes… S’il a l’air de s’etre un peu calme depuis son mariage l’ete dernier, on sent qu’il ne tient pas en place et qu’il n’est pas a une connerie pres. Tantot croupier dans un casino sur un paquebot de croisiere dans les Caraibes, tantot en vadrouille alcoolisee et heliportee dans l’arriere pays canadien, Gilles regorge d’histoires qui oscillent souvent entre voyage, montagne et beuveries. Et encore, nous doutons qu’il nous ai tout raconté !

Pour finir sur la presentation du personnage, Gilles et sa femme Quy preparent un voyage de 6 mois en Europe a partir de septembre prochain. Entre grimpe, alpinisme et tourisme, ils passeront surement nous faire un coucou vers Grenoble et Chamonix. L’occasion de faire marcher le reseau montagnard pour echanger bons plans, hebergement et topos tout en rallongeant un peu l’expe de La Voix des Cimes en France et en Europe, pourquoi pas? Apres 8 mois de voyage, il est preferable de retourner progressivement a une vie “normale”. Nos ecoles comprendront surement ca…

Les skis d'Arthur, le sac d'Arthur, les batons d'Arthur..mais ou est Arthur?

En direction de Peyto Hut!

1er jour de raid donc, avec glissade mal controlees entre les sapins, le sac pret a tout pour nous desequilibrer. Il faut dire que si nous n’avons pas emporte de “booze” (de l’alcool en argot) comme ca se fait au Canada pour ce genre de trip, La Voix des Cimes peut se targuer d’avoir remporte la palme des plus gros sacs de la Wapta Traverse. Gilles en est plie de rire a chaue fois qu’on deballe nos affaires aux refuges. Economes au niveau vestimentaire (1 slip pour 1 semaine semble un bon ratio), nous avons vu larges au niveau alimentaire. 1 litre de ketchup, 1 kg de nutella, 1,5 kg d’avoine, 2kg de pates, concombre, pommes et bananes fraiches, ribambelle de pains, bagel et pitas, 6 tablettes de chocolat, des conserves a foison et des vivres de courses pour un mois… On a vu large parce qu’on a des enormes sacs qu’on peut remplir parce qu’on est entraines, et surtout...parce que manger c’est cool! Si on devait maigrir a chaque viree en montagne, on ne ferait pas long feu.

700 metres de denivele et une douzaine de km plus tard, nous voici a Peyto Hut. A y regarder de plus pres, les etapes de la Wapta Traverse ne sont pas si eprouvantes lorsqu’on les prend une par une. Le record de vitesse est meme de 6h30 pour 48 km et 2000m de denivele positif environ. Une fois sur les glaciers, on se retrouve perdus au milieu d’etendues immaculees a perte de vue. le relief est doux, a part pour les quelques sommets qui depassent et encerclent les etendues glacees. Sachant cela, nous nous sommes donnes 6 jours pour grimper sur tout ce qui depasse. Sauf que… sauf que le temps que nous croyions qvec nous va vite tourner au jour blanc le plus intense et le plus durable que nous ayons connu. Au moins on apprend du vocabulaire. Jour blanc = White out. Voila vous pouvez desormais faire la wapta traverse.

Chic Scott, l’auteur du topo sur la traversée, nous avait pourtant vendu une “breathtaking view, un paradis tellement beau qu’on ne saurait dire si on est sur Terre ou au ciel”. Merci, t’es un chic type Scott mais sur ce coup la tu nous as bien eu…

2eme jour, le jour blanc s’installe tranquillement,. Il sait qu’il nous tient et s’en délecte. Il va et vient, nous appâte par des éclaircies propices pour mieux nous piéger ensuite. Deux fois nous tentons une sortie vers le Rhonda Peak. Deux fois nous serons repousses par un jour blanc si intense qu’on ne voit pas plus loin que quelques mètres. La première descente nous promet des de la neige d’exception sur toute la traversée pourtant. Le genre de neige qu’on est content d’avoir pu skier deux fois dans la saison en France. Ici c’est tout les jours. A condition qu’on y voit quelque chose… La deuxième descente, nous voici les yeux rivés sur nos skis, essayant de ne pas perdre de vue notre trace de montée au risque de nous perdre ou, pire, de sauter dans la grosse crevasse la bas ou le sérac du coin.

Et il signe d'un Z qui veut dire Zorro!

Peyto Hut!

C'est beau (legende a utiliser au moins une fois par article)

Dodo PLS en attendant l'eclaircie

La bouteille d'1L de ketchup, indispensable a tout bon raid a ski

Le ton est donné. Beaucoup de temps au refuge donc pour les premiers jours. L’occasion de sympathiser avec les skieurs de passages (salut les suisses Niels et Flavia!) et de se former à l’utilisation du GPS. Merci aux parents de Corentin pour cette magnifique montre GPS qui nous a permis de traverser cet univers de blancheur sans encombres!

Le 3eme jour, le jour blanc nous accompagneras du début à la fin. Entre Peyton Haut et Bow Hut, notre destination du jour, nous sommes seuls au milieu de l'immensité aveugle. Seuls? Non! un petit groupe d'irréductibles grenoblois arrive droit sur nous au niveau du col. Sentiment rassurant de voir que nous ne sommes pas totalement seuls là haut dans les nuages. Rencontre étrange entre grenoblois loin de chez eux, au milieu de nul part en particulier, hors du temps. Bientôt, il est temps de repartir, tels des chiens de chasse à l'affût, la truffe collée au sol dans l’espoir de repérer la trace de montée de nos compatriotes avant qu’elle ne disparaisse sous la neige. Ah oui il neige au fait. Tous les jours, ce qui n’arrange pas le bulletin d’avalanche déjà médiocre. Combinée avec le GPS, la technique marche du chien de chasse marche bien et nous ne tardons pas à apercevoir des skieurs qui se dirigent vers Bow Hut. La descente est courte et toute en poudre, comme il se doit au Canada. Le jour blanc fait des ravages sur notre vision et nous avons soudainement l’impression que la pente plonge verticalement ou qu’un mur de neige se dresse devant nous. Rien de tout cela pourtant. Sauf une fois pour Corentin qui tombe bel et bien tete la premiere dans un trou, a 2 metres de la ou d’autres sont passés sans encombres. Petit tassement des vertèbres sans gravité…

C’est tellement bon qu'à la prochaine éclaircie on remet ca! Montée descente à fond histoire de s’ouvrir l'appétit avant la soupe (et les pattes, et le nutella, et les crêpes…).

Gilles, toujours tout sourire!

Mercredi, nous serons encore parmi les derniers a nous lever, et parmi les derniers a quitter la Hut. Heureusement ce jour-la les sacs sont legers, et nous depassons petit a petit tous les autres groupes de skieurs… pour nous retrouver dans le jour blanc, le “whiteout”! La perception des distances est impossible : nous avons l’impression de bouger tout en restant immobiles, nous pensons voir une immense corniche la ou se trouve une bosse de 1 metre de haut, ou un gouffre sans fond pour une legere pente descendante. Notre ami Gilles voit meme ses “corps flottants du vitre”, vous savez ces petites bulles ou toiles d’araignees que l’on peut percevoir dans notre champ visuel en regardant une zone blanche. Bon, la description de Gilles de ses hallucinations etait quand meme beaucoup plus marrante que ca!

Gilles et le St-Nicholas Peak en arriere-plan!

Dans ses conditions le GPS se revele quasiment essentiel, nous suivons le parcours prealablement programme, comme des zombies dans un jeu video! Nous arrivons quand meme a nous planter a quelques centaines de metres de notre objectif du jour, le mont Gordon, 3150m...Nous restons quelques minutes devant une pente de neige raide, entre seracs et barres rocheuses, comme des poules devant un couteau...avant de comprendre, quìl nous faut faire le tour du sommet pour làtteindre par une rampe moins pentue...De la haut, quelle vue magnifique, nous pouvons voir notre propre reflet dans les masques des uns et des autres! Pour la vue sur les glaciers, on repassera, le brouillard est toujours aussi epais!

Il est a peine 11h, nous avons bien assez dle temps de faire un autre petit sommet, surtout que le ciel sèclaircit un petit peu…

Au sommet du Mont Gordon, quelle splendide vue!

Nous nous dirigeons donc vers le St-Nicholas Peak, où une courte arete permet dàcceder a ce beau pic a la face nord verticale : làmbiance est au rendez-vous!

Le ciel finit de se decouvrir et cèst avec une vue presque degagee que nous descendons a fond dans la poudreuse canadienne dans une pente vierge de traces, a lìnclinaison rassurante! Il ne faut pas oublier que nous étions en risque 5 la semaine précédente!

Et c'est le sourire aux lèvres que nous regagnons le refuge, avec lìmpression d'avoir enfin fait accompli quelque chose dans notre journée!

Après les désormais traditionnelles pâtes-Ketchup, une partie de cartes transgénérationnelle et passionné occupe notre deuxième soirée a Bow Hut : en effet, c'est avec deux jeunes américains, et deux septuagénaires canadiens que nous mènerons une partie de ``Hearts``jusqu’au bout de la nuit( un peu de gâteau de l’espace fourni par ces hippies du Colorado aidant naturellement à la concentration…)

L'arete menant a St-Nicholas Peak

La barre des Ecrins (Ah non)

OH YEAH

Le lendemain, le plan est clair : il est censé faire un temps correct, et si la visibilité le permet nous enchainerons 2 étapes en une se journee afin de passer le crux de la traversée : la montée au col du Balfour : celle-ci se déroule dans des pentes peuvent être chargées, sous les séracs et au milieu des crevasses, un cocktail potentiellement explosif en cas de jour blanc !

La pente au dessus de Bow Hut, dealeuse de poudre au quotidien

Maintenant vous le connaissez, c'est qui le petit sommet a gauche?

La fine equipe!

Nous rejoignons donc dans un premier temps le col situé sous St-Nicholas Peak avant d’attaquer une longue descente peu inclinée jusqu'à Balfour Hut, où nous ne dormirons donc pas : il fait trop beau, il faut en profiter! Le casse-croûte rapidement englouti, nous nous dirigeons vers ce fameux creux...Au final pas si méchant avec une bonne visibilité, l’ambiance est néanmoins splendide. Nous traçons dans une bonne couche de poudreuse,zigzagant entre crevasses et pressant le pas sous les monstres glaces du Balfour.

Vers le Balfour Col

Au Balfour Col

Au Balfour Col

Passe le col, nous nous réjouissons...d'après l’auteur du topo ,Chic Scott, un “fun glide” nous attend jusqu'à Scott Duncan Hut...Il s’agit en réalité d’un foutu plat, 300m de descente sur 6 km de long, dans de la neige collante : autant-dire que ca n’avance pas, mais alors pas du tout, il faut ressortir les peaux et marcher à plat, a plat, a plat...Pas fun, mais alors pas fun du tout!!!

C'est long et c'est chiant!!!

Au final, nous aurons fait la trace pendant quasiment toute la traversee!

Shoveling Time!

Enfin arrivés à la Hut, il nous faut encore déneiger devant la porte...Heureusement, il nous reste une quantité impressionnante de crêpes, et du chocolat en proportions égales, qui ne feront pas long feu avec les ogres de la Voix des Cimes!

Depuis le refuge, la vue sur les glaciers et les sommets aux alentours est grandiose, et le soleil fait le malin, soir et matin : ses apparitions et disparitions sont tout aussi magnifiques, parant pour quelques minutes les immensités blanches de couleurs chatoyantes!

Soir...

Et matin!

La Wapta traverse est bientôt achevée :nous savons qu’il ne nous reste plus que 1000m de descente pour rejoindre une des voitures laissée au parking il y a une semaine a present… Mais au Canada, nous commençons à le comprendre, une descente n’est jamais vraiment descendante...il nous faudra remettre les peaux pas moins de trois fois, notamment pour contourner des pentes dangereuses! La neige n’est pas aussi exceptionnelle que les jours précédents, et pour cause, il n’a pas neigé depuis au moins deux jours, et nous descendons en face sud...Autant dire que les derniers hectomètres sont pourvus d’une croûte atroce, impossible de tourner les skis, surtout avec nos sacs toujours aussi pachydermiques!

Quelques derniers kilomètres à plat en mode ski de fond nous ramènent à l’autoroute! La civilisation commençait à nous manquer…

Le mont Nils

Enfin, c’est surtout toutes les promesses de Gilles, du type “Luxury is coming”, qui nous ont mis l’eau à la bouche! Nous serons accueilli comme des rois par lui et sa femme Quy : Douches chaudes pour nos corps crasseux,pizzas pour nos estomacs affamés, jacuzzi pour nos muscles courbatures, petite séance ciné avec le dernier Reel Rock 11 pour nos cerveaux liquéfiés, etc, etc… Enfin on peut quand même mentionner les somptueux steaks au bleu et les lits moelleux qui ont fini de nous réconforter ce soir-la! Nous aurons rencontré des gens à l'hospitalité formidable tout au long de notre séjour au Canada…

Eh oui, il ne nous reste déjà plus qu’une semaine avant notre départ pour le Pérou : avec le tas de cascades de glace, de lignes de ski et de caillou qu’il nous reste à parcourir, cela va passer à vitesse supersonique!Et il reste la voiture a laver….